TROISIÈME PARTIE
AXIS MUNDI
Le résultat de nos semis, c’est une moisson d’impossible. Spéculation : le fragment n’est pas de la matière au sens strict – à part masse et volume, mesurables, il n’en possède aucune des propriétés conventionnelles. On ne peut le subdiviser. Sa structure reste lisse quel que soit le grossissement, mais l’examen optique peut occasionner des erreurs pour plusieurs raisons. Sa radiation viole la loi du carré inverse, comme si une masse infiniment supérieure modifiait la courbure de l’espace local, alors que quatre hommes robustes réussiraient à le soulever (mais aucun d’entre nous n’est assez fou pour le toucher). Il tire de l’air ambiant des photons à haute énergie qu’il fait passer au rouge en les rayonnant. Même effet sur la lumière qu’il réfléchit : les dimensions du fragment semblent se réduire en contradiction flagrante avec les lois optiques connues ; il diminue trop vite pour qui s’en éloigne ! La réciproque est vraie, ce qui interdit toute mesure rapprochée. Au microscope, il apparaît comme une structure homogène aussi vaste que la surface d’une étoile, en moins énergétique, par bonheur ! Cela crée de sérieuses difficultés, le miracle étant qu’elles ne se révèlent pas bien pires encore.
Observer de telles merveilles est un privilège. Étrange que ce fragment provienne d’un désert du Moyen-Orient. Des siècles de pensée religieuse ont fertilisé l’âme humaine dans un rayon de mille cinq cents kilomètres autour du site : Moïse, Jésus, Mithra, Mani, Valentin…
Il me revient l’idée de Linde selon laquelle le cosmos observable s’élève de l’« écume » chaotique des configurations possibles de l’espace et du temps : enchâssé dans (mêlé avec) d’autres univers semblables et dissemblables. En rêve, j’ai vu un véhicule permettant de naviguer par les « trous de ver » entre îlots de création adjacents. Pour l’assembler, des êtres lumineux, étranges, inconnaissables – habitant le Plérôme ? Ils tentent de pénétrer le mystère de la Matière créée, mais ils échouent… des débris de hors-substance s’éparpillent sur d’innombrables îlots d’espace-temps, y compris le nôtre…
Nous comptons bombarder le fragment de particules à haute énergie. Frapper à la porte du Paradis.